par nicolas.breton

Opinion : Faut-il encore écouter les consultants ?

L’affaire Evra et les multiples règlements de compte qu'elle a engendrés ont démontré l’importance croissante des "super-consultants" dans le paysage footballistique.

L’affaire Evra et les multiples règlements de compte qu'elle a engendrés ont démontré l’importance croissante des "super-consultants" dans le paysage footballistique. Il est temps de contester leur oligarchie…

Pendant longtemps, le consultant, c’était ce type avec son micro-casque vissé sur la tête qui se contentait de ponctuer chaque intervention du commentateur principal d’un vibrant "Oh la la, oui…". Il ne servait pas à grand-chose mais au moins, il ne volait pas la vedette à ceux dont il était censé parler.Et puis, sont apparus ceux que nous appellerons les "super-consultants", c’est-à-dire des intervenants en plateau, et non plus sur les matches (bien qu’ils endossent parfois les deux rôles), chargés de commenter de façon plus générale l’actualité du football : Pierre Ménès ou Christophe Dugarry sur Canal+, Jean-Michel Larqué, Luis Fernandez ou Daniel Riolo sur RMC.

Canal + et RMC, les deux pourvoyeurs

L’apparition de cette nouvelle espèce de consultants s’explique de deux façons.

En 2005, Canal+ débourse 600 millions d’euros pour conserver les droits de diffusion de la Ligue 1. Contrainte de rentrer dans ses frais, la chaîne cryptée va survendre le championnat comme on le ferait avec une voiture ou un portable : en lui ajoutant tout un tas d’options inutiles. C’est l’ère de la statistique à tout-va (ballons touchés du pied gauche, longueurs des passes, kilomètres parcourus à cloche-pied…) et de l’expert omniscient, sorte d’œnologue du ballon rond dont la seule présence garantirait le luxe du produit. Une tendance que traduit l’émission phare de Canal, "Les Spécialistes", dont le titre suffit, par sa prétention, à nous faire zapper.

L’autre usine à super-consultants est RMC, mais pour des raisons différentes : la station de radio a appliqué au football son concept de "grandes gueules", c’est-à-dire d’intervenants dont la vulgarité est maquillée en "gouaille".

Ainsi est apparue cette caste de prétendus experts dont chaque salve devient aussitôt une information ("Riolo dézingue Untel", "Larqué allume Machin"…).

Quelle légitimité ?

La mainmise de quelques directeurs de conscience est critiquable, dans quelque domaine qu’elle s’applique. En football, elle confine à la malhonnêteté. Pris en otage par des "noms", le commentaire sportif s’est réduit à des querelles de personnes prenant une ampleur absurde, quand son expression par des titres de presse, moins incarnés, lui laissait une forme de pureté. À l’image des affaires Valbuena vs. Ménès, Barton vs. Ménès ou Saint-Étienne vs. Riolo, les acteurs du ballon rond sont désormais interrogés sur leurs rapports avec ces super-consultants, et non sur le plus important : le terrain.

Sport populaire par excellence, accessible au plus grand nombre, le football se retrouve en outre kidnappé par une élite de "spécialistes" dont la légitimité n'a aucun fondement. Car le ballon rond - et c'est ce qui fait sa beauté -, tout le monde en est spécialiste ! Pierre Ménès comprend-il mieux un match de football que le spectateur lambda sous prétexte qu’il est Pierre Ménès ? Cela reviendrait à nier à chaque amateur regardant la rencontre chez lui ou dans un bar la capacité d’apprécier entièrement le spectacle.

L’ironie de l’histoire, c’est qu’en réfutant la dimension populaire de ce sport, les super-consultants ne l’ont rendu que plus populiste. L’expertise selon RMC ne consiste en effet qu’à mettre dans la bouche de prétendus connaisseurs des considérations de piliers de bar, triviales jusqu’à la haine. L’exemple le plus frappant est bien entendu celui de Jean-Michel Larqué, pour qui tout footballeur de moins de 25 ans s’apparente à un sauvageon portant un casque sur les oreilles et ne-respectant-plus-les-bonnes-valeurs-ni-ses-aînés-ma-bonne-dame.

Analyser le football, une escroquerie

Et puis, au fond, le football a-t-il vraiment besoin d'être décrypté ? Deux équipes de onze joueurs, un ballon et deux cages. L'équipe qui marque le plus de buts a gagné. Voilà à quoi ce sport se résume.

Tout le reste, "automatismes" , "agressivité dans le bon sens du terme" ou "détermination dans les duels" , n’est que parler creux et supputation. Et que dire de ces palettes Canal+ dont on s'est passé durant des décennies, sans que cela n'empêche personne de savourer le spectacle ? Un match de football n’est pas un film ou une toile de maître, dont chaque élément appelle une lecture et où il serait possible de distinguer un message, une vision. Un match n’est que ce qu’il montre, il n'y a rien derrière. La notion d'analyse y est donc obsolète.

Par conséquent, l'expertise servie par Canal et RMC ne se cantonne, au mieux, qu'à des évidences déduites du tableau d'affichage, au pire, qu'à la masturbation intellectuelle de ces super-consultants, dont l’énorme poids médiatique, en dépit de toute légitimité, finit par nous donner maux de tête et nausée.

Vite, il faut consulter !

 

Julien Demets

Podcast Men's Up Life
 

Pour résumer

L’affaire Valbuena-Ménès et les règlements de compte de Jean-Michel Larqué ont démontré l’importance croissante des "super-consultants"...

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Rédacteur
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